L’année 2017 a vu émerger un vaste mouvement de protestation dans le secteur de la santé en général et plus particulièrement dans le secteur de l’hébergement médicalisé des personnes âgées. Même si des professionnels non-soignants ont pu se joindre à ce mouvement, celui-ci a été largement le fait du personnel médical et surtout para-médical. L’accompagnement des personnes dont l’âge entraîne des incapacités de tous ordres serait-il la seule affaire des soignants et le lieu idéal pour cet accompagnement ne pourrait-il être que les EHPAD, dont le sigle déshumanisant indique bien que les personnes qui y vivent ne sont plus vraiment incluses dans notre société ?

Par Colette Eynard, Membre fondateur chez ARCG

Au-delà de cet aspect revendicatif, ce mouvement a contribué à mettre le problème sur la table, provoquant chez les personnes concernées, et notamment les familles, des réactions scandalisées. Celles-ci portaient essentiellement sur le nombre insuffisant de soignants et la difficulté pour une personne très âgée et présentant de nombreux handicaps de continuer à vivre à son domicile et d’y être aidée par ses proches.

Plus largement, de nombreux professionnels ou instances diverses travaillant dans ce domaine et ne confondant pas la gériatrie et la gérontologie sociale, ont posé le problème de ce qu’on appelle maintenant l’inclusion des personnes âgées dans la société, ce qui corrobore l’idée que nombre d’entre elles en sont en effet exclues. Le rapport du Comité consultatif national d’éthique a été à cet égard particulièrement pertinent et sans complaisance. On peut citer aussi Les Petits frères des pauvres, qui ont mis en évidence l’isolement de nombreuses personnes âgées et montré que de petites unités d’habitation pouvaient être une solution pour bon nombre d‘entre elles, y compris lorsqu’elles présentent des handicaps.

Enfin, les pouvoirs publics ont réagi et promettent de poser le problème dans toutes ses dimensions et de manière concertée. A cet égard, les annonces de la ministre de la Santé et des Solidarités laissent entrevoir qu’au-delà du nombre de soignants dans les EHPAD,  la question de l’inclusion sera traitée. La notion même d’inclusion fait l’objet d’un travail de la CNSA visant à en tirer tous les enseignements. La concertation promise et attendue devra être vaste et elle-même inclusive, et ne pas se limiter aux instances dites représentatives, souvent peu enclines à « sortir du cadre ».

Mais pour avoir une chance de savoir où on veut aller, il faut savoir d’où on vient. Où ce problème de l’exclusion prend-il sa source ? Il me semble qu’il est au moins en partie le résultat d’un clivage constamment entretenu entre la vie à domicile et l’entrée en institution et notamment lorsque celle-ci est médicalisée. Le maintien (soutien ? accompagnement ?) à domicile a toujours été valorisé dans les divers rapports qui ont jalonné la gérontologie depuis qu’elle existe sous sa forme moderne, qu’on peut dater du rapport Laroque en 1962.

L’émergence du métier d’aide à domicile (qu’on appelait alors aide-ménagère) dans les années 60 a été largement le fait du milieu associatif, souvent appuyé par les municipalités, et la question de son financement pérenne s’est vite posé. La Sécurité sociale a été sollicitée, ainsi que les caisses de retraite complémentaire. Par la suite, les départements ont pris le relais tandis que la Sécurité sociale se chargeait du financement des services de soins à domicile, des forfaits soins, des sections de cure médicale et des soins en EHPAD.

Hormis la création des services de soin à domicile, les établissements ont donc peu à peu été marqués par une approche presqu’exclusivement soignante, contribuant malgré la bonne volonté de chacun à en faire des lieux de soin plus que des lieux d’habitation.

Pour tout un chacun quel que soit son âge, le domicile, le chez soi, est un marqueur de l’inclusion. Les premiers exclus sont les personnes sans domicile fixe. Être chez soi, c’est essentiellement être maître chez soi et maître de soi, autrement dit autonome, quels que soient par ailleurs les handicaps qu’on peut présenter, et c’est bien là sans doute la cause essentielle du refus de l’EHPAD. Il ne suffit pas en effet que la réglementation en vigueur stipule que « la chambre en EHPAD est le domicile de la personne » pour que cela soit ressenti comme tel et vérifié dans les faits. A partir du moment où une instance extérieure, quelle qu’elle soit, organise et gère ce lieu de vie, il est difficile que ceux qui y vivent en fassent spontanément un lieu d’habitation. Une chambre ne peut pas l’être car elle n’a pas les caractéristiques du logement : ni entrée indépendante, ni cuisine, ni espace d’intimité, tout est ouvert à tous et on y entre comme dans un moulin malgré les innombrables injonctions à frapper à la porte et à ne pas entrer si on ne vous y invite pas. La sécurité de la personne et les obligations du service telles qu’on les conçoit actuellement ne sont guère compatibles avec la liberté des personnes. Le meilleur projet de vie et d’établissement se heurte à ces contraintes ou injonctions.

Avoir une place dans la société, c’est avoir un lieu à soi dont on peut sortir quand on le souhaite et c’est aussi pouvoir prendre et assumer un certain nombre de risques. Il me semble que c’est là un point essentiel qui va bien au-delà de la question des EHPAD. Actuellement, la grande vieillesse est surprotégée et tous les aspects de la vie en EHPAD sont impactés par une conception du soin tellement globalisante qu’elle ne laisse aucune place à la vie ordinaire. Tout est thérapeutique, les animaux, la musique, les jardins, la cuisine, et pourtant ces éléments, s’ils n’étaient pas placés exclusivement sous le signe du soin, seraient des facteurs évidents d’inclusion. On peut être malade sans que la vieillesse puisse être considérée comme une maladie qui impacterait tous les aspects de notre vie, ce que nous voulons, ce que nous croyons et ce que nous aimons, et qui ne regarde que nous et nos proches. Continuer à faire comme tout le monde malgré l’âge et les maladies n’est pas un soin, c’est une évidence qui n’a pas besoin de l’étiquette thérapeutique. On n’a pas besoin d’une infirmière pour visiter une exposition mais plutôt d’un moyen de locomotion et d’une personne apte à présenter les œuvres d’une manière intéressante.

Sortir de chez soi pour pouvoir y rentrer avec plaisir devrait pouvoir se faire quel que soit le lieu où on habite. Être soigné quand on est malade devrait pouvoir se faire à tout âge de la même façon, sans qu’on soit obligé d’en passer par un « projet personnalisé », invention particulièrement absurde qui montre bien que rien de ce qui concerne la personne ne doit échapper au regard vigilant des professionnels et de l’institution. Loin d’être inclusif, ce regard est surtout intrusif et abusif. Il suffirait pourtant de poser deux questions à la personne qui vient vivre dans un établissement : qu’attendez-vous de nous ? que souhaiteriez-vous faire ou avoir, dans la mesure de nos possibilités ?

La tendance actuelle qui consiste à abreuver les seniors (paradoxalement, c’est ainsi qu’on nomme les plus jeunes des vieux) de conseils en tout genre sur le bien vieillir, bien se nourrir, bien se porter, montre aussi qu’ils n’échappent pas non plus à cette sollicitude, érigée en obligation de santé publique. Deux systèmes se partagent donc ce qu’on appelle encore le problème de la vieillesse : le maintien à domicile et les établissements médicalisés. Ne pourrait-on pas dire que ces deux systèmes ne sont pas allés au bout de leur logique ? Les services à domicile sont largement insuffisants et ne permettent pas le libre choix entre ces deux solutions. Par ailleurs, le manque de formation, entendue comme une occasion de réfléchir à plusieurs à ce qu’est le domicile et au positionnement de chaque intervenant dans ce domicile, est un grave problème, au même titre que les salaires insuffisants et l’obligation constante de faire en une heure ce qui en demanderait deux.

Dans les situations finalement assez rares où il est possible de maintenir à domicile une personne qui présente des handicaps importants, il est le plus souvent nécessaire d’adapter son logement à son ou ses handicaps, ce qui va généralement à l’encontre des souhaits de la personne, pour des raisons financières, certes, mais aussi parce qu’elle craint qu’on lui transforme son chez elle en un lieu où elle ne se sent plus chez elle. Aménager, certes, mais avec l’accord de la personne et en travaillant avec elle sur l’usage qu’elle fait de sa maison et sur les avantages réels qu’elle pourrait tirer de cet aménagement ; c’est essentiel si on veut qu’elle se sente toujours chez elle et non dans une annexe de l’EHPAD. Que dire aussi des aménagements invisibles, par exemple les capteurs qui mesurent l’activité de la personne, que l’on pourrait être tenté d’installer en se passant de l’informer et de lui demander son accord ? A cet égard, il serait souhaitable que les intervenants à domicile, quels qu’ils soient, et quel que soit le domicile, n’oublient jamais chez qui ils sont. La question centrale est en effet celle-ci : les personnes âgées vivent-elles sur le lieu de travail des professionnels ou ceux-ci viennent-ils travailler chez les personnes âgées ?

En ce qui concerne les EHPAD, tout indique, sauf dans le meilleur des cas le rez-de-chaussée avec son ambiance hôtelière, qu’on se trouve dans un espace très médicalisé. Le –h- d’EHPAD signifie hébergement, mais il pourrait être aussi celui d’hôpital, et dans l’imaginaire des personnes qui y vivent, le –h- d’hospice. Longs couloirs encombrés de chariots, blouses blanches, matériel médical, prennent l’avantage sur une ambiance domestique qui a beaucoup de peine à s’imposer. Hôpital et hôtel ne font pas un domicile.

Malgré les efforts de certains établissements, nous sommes encore loin de la logique domiciliaire souhaitée par Marie-Anne Montchamp, présidente de la CNSA.

Cette notion de logique domiciliaire nous indique pourtant la voie à suivre. Puisque la majorité des personnes qui vieillissent souhaitent continuer à vivre chez elles, ou dans un domicile collectif et alternatif qui leur assurerait les conditions d’un véritable chez soi, c’est à dire l’assurance de pouvoir y vivre comme elles l’entendent, cela suppose  un changement total de paradigme. Lieu de vie et soin ne devraient plus être confondus, les soins médicaux et paramédicaux étant disponibles dans la ville, le quartier ou le village, et ceci quel que soit le lieu où habite la personne : domicile classique ou regroupé en petites communautés ou en résidences. Le modèle du soin à domicile parait en effet préférable à celui du soin en EHPAD dont l’organisation dans un seul lieu semble susceptible de provoquer des dérives autoritaires.

Cela suppose que l’ensemble des services et des équipements soient en nombre suffisant, complémentaires et coordonnées dans une logique de territoire, les établissements à caractère médico-social ou sanitaire devenant des lieux-ressources : soins à caractère plus technique, rééducation, répit et repos, soins palliatifs. En effet, un lieu spécialisé peut être nécessaire mais il ne peut pas être confondu avec le domicile.

L’inclusion se fait par le territoire, et celui-ci doit être partagé par l’ensemble de ses habitants, quel que soit leur âge. Le changement de paradigme évoqué plus haut impose donc de sortir du seul champ de la gérontologie et de la gériatrie et de penser l’inclusion en termes d’aménagement du territoire.

 

 


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