Jean-Philippe ARNOUX, directeur Silver Economie et Accessibilité chez Saint Gobain et Hervé MEUNIER, directeur général de Filien-ADMR, tous les deux, membres du Conseil National de la Silver Economie, ont présenté leur rapport avec des propositions pour un habitat adapté aux personnes âgées.

Voici le texte du rapport : 

Pour comprendre le défi, trois chiffres suffisent :

  • La France compte aujourd’hui 28 millions de logements utilisés sous forme de résidence principale.
  • Chaque année, moins de 400.000 logements se construisent, soit un renouvellement à hauteur de + 1,4% du parc/an
  • D’ici 2040, le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans passera de 4 à 7 millions, soit 3 millions de « plus de 80 ans » en 20 ans.

De ces trois chiffres découlent une conclusion : étant la croissance des « plus de 80 ans » (+ 3 millions en 20 ans) et le faible flux de créations nouvelles de logements, l’adaptation des logements existants au vieillissement de la population devrait prendre une place centrale dans les politiques publiques. Or, tel n’est pas le cas.

La politique du logement des seniors n’est pas au cœur des préoccupations du Ministère de la Santé. Et l’adaptation du logement au vieillissement n’est pas, loin s’en faut, au centre des préoccupations du Ministère du Logement. Le premier a bien à faire avec les Ehpad. Le second se soucie plus de rénovation énergétique. Dès lors, le sujet de l’adaptation des logements au vieillissement se situe trop souvent en dessous des radars des pouvoirs publics. Ce Rapport a donc comme première intention de sensibiliser de nouveau chacun à cet enjeu majeur. Car un vieillissement harmonieux passe par une politique publique forte et ambitieuse d’adaptation des logements.

Mais cette politique publique se doit d’être préventive. Elle est aujourd’hui trop « curative » ce qui se traduit par des travaux d’adaptation dont les bénéficiaires ont en moyenne … 83 ans soit un âge quasiment similaire à l’âge moyen d’entrée en Ehpad. Plutôt que d’être réalisés en amont, ces travaux sont trop souvent entrepris après un premier accident domestique (et très souvent après une chute), entrainant un enchainement de coûts humains et de coûts pour la collectivité. Rappelons-le : les chutes domestiques des personnes âgées de 65 ans et plus provoquent près de 10.000 morts par an. Un chiffre près de 3 fois supérieur aux décès dues à la circulation routière.

De ces différents constats, nous voudrions à ce stade formuler quelques grandes priorités qui devront figurer d’une manière ou d’une autre dans la loi Grand Âge et Autonomie.

  • Il faudra encourager et financer le plus en amont possible l’adaptation du logement des propriétaires-occupants.
    En effet, 65% des seniors sont aujourd’hui propriétaires de leur logement. Si ces personnes veulent « vieillir à domicile » c’est en priorité le logement qu’elles occupent qui doit faire l’objet des travaux et adaptations nécessaires.
  • Il faudra mobiliser les professionnels et artisans du bâtiment pour que ces adaptations soient réalisées dans un double souci d’efficacité et d’éthique.
  • Il conviendra également d’harmoniser les efforts des bailleurs sociaux en les encourageant à mener des stratégies concertées entre eux.

Mais, au-delà, il convient de dépasser la seule question immobilière pour intégrer les dimensions liées aux nouvelles technologies et aux services. En effet, un logement dit « adapté » ne se résume pas qu’au seul aménagement du bâti. Encore faut-il que la personne à son domicile bénéficie de solutions en matière de sécurité, de conservation du lien social et de suivi médical. Des technologies sont porteuses de ses solutions, telles que la domotique, la téléassistance, la télémédecine ou le monitoring. Demain, l’Internet des Objets, les capteurs, les sols intelligents, l’IA devront s’inviter au domicile des personnes âgées pour peu que ces techniques apportent évidemment un surcroît de services.

Il ne faut oublier non plus que le domicile de la personne âgée est aussi bien souvent un lieu de travail pour la salariée qui officie en qualité d’auxiliaire de vie ou d’aide-soignante et dont l’accidentologie et l’absentéisme sont particulièrement développés. Adapter un logement c’est aussi appréhender les conditions d’une sécurité et d’une ergonomie propres à l’exercice du métier des aidants professionnels.

En revanche, ce document ne traite de la question de l’habitat intermédiaire pour séniors. En effet, la Filière n’a pas souhaité à ce stade s’investir sur un sujet qui semble désormais clairement identifié par les pouvoirs publics, notamment depuis la publication du décret sur l’habitat inclusif.

* * *

MIEUX INFORMER LES USAGERS

Proposition n°1 – Création d’un Guide des bonnes pratiques du logement adapté diffusé à grande échelle

L’ANAH a publié un document de qualité intitulé « Mon chez-moi avance avec moi » où l’ensemble des aménagements possibles sont énumérés et décrits. Mais nombreux sont les organismes de retraite complémentaire qui ont entamé des démarches similaires louables. Du coup, on assiste à une atomisation de l’information qui rend inefficace la sensibilisation des retraités.

Nous proposons qu’autour de l’ANAH, de la CNAV et de l’AGIRC-ARRCO l’ensemble des partenaires se mobilisent pour élaborer un Guide unique et lui assurer une diffusion aussi massive qu’efficace.

MIEUX PREVENIR, MIEUX ANTICIPER

Proposition n°2 – Mise en place d’un diagnostic Habitat-Mobilité à partir de 65-70 ans

A partir de son 70ème (ou 75ème anniversaire), chaque français est invité à établir un diagnostic Habitat-Mobilité. Ce diagnostic sera établi par un ergothérapeute. Il mesurera les aménagements à réaliser pour que le logement soit adapté. Mais il étudiera également, au-delà du caractère accessible du logement, sa situation géographique du logement et dès lors la capacité de mobilité de la personne âgée afin qu’elle puisse demeurer autonome dans ses déplacements.

Le financement de ces diagnostics devrait pouvoir trouver leur place dans le panier de biens et services des mutuelles, des caisses de retraite et/ou des organismes de protection sociale complémentaire.

Proposition n°3 – Création d’une Commission Annuelle des Bailleurs Sociaux dédiée à l’adaptation du parc social au vieillissement des locataires.

Dans les 20 prochaines années, la part des locataires du parc social âgés de 65 ans et plus va fortement augmenter. Face à ce phénomène, les bailleurs sociaux sont inégalement sensibilisés et les pratiques très diverses sur le territoire.

Il semblerait utile qu’une fois par an les Ministres de la Santé et du Logement réunissent une Conférence nationale des Bailleurs sociaux dédiée à l’adaptation des logements au vieillissement. Cette Conférence devra évidemment impliquer les acteurs majeurs de l’Habitat social mais aussi les représentants de la filière Bâtiment, les principaux acteurs publics en charge de la dépendance (ANAH, CNSA) et les opérateurs locaux (Type SOLIHA).

Un tel rendez-vous permettrait de donner une impulsion commune à tous les acteurs et de généraliser les bonnes pratiques.

Proposition n°4 – Impliquer les professionnels des transactions immobilières par la création d’une « Etiquette Adaptabilité »

A l’instar des « étiquettes énergies », les agents immobiliers seraient obligés de porter à la connaissance des usagers les points d’amélioration ou points bloquants pour le futur dans le cadre d’une adaptation du logement au vieillissement. Ceci aura également pour mérite d’inscrite durablement la thématique du soutien à domicile dans l’esprit des français. Évaluer l’Habitat au moment de la transaction immobilière permet de porter un premier message durable au futur propriétaire, et commencer à créer l’historique d’évaluation du parc ancien.

PROTÉGER LES CONSOMMATEURS

Proposition n°5 – Insérer un volet éthique dans le cursus de formation

Dans le cursus de formation de tous les professionnels de la construction, de l’aménagement et de l’intervention au domicile doit figurer une sensibilisation à l’éthique et à la prise en charge des personnes fragiles

Proposition n°6 – Punir durement les abus de faiblesse envers les personnes fragiles

Face aux cas, toujours trop nombreux, d’abus de confiance envers des personnes âgées fragiles, Il est proposé de durcir la législation du droit du commerce sur le démarchage à domicile et les ventes sur foires et salons en doublant le délai de rétractation de 7 à 14 jours et en aggravant les sanctions pécuniaires pour les contrevenants.

Proposition n°7 – Informer clairement les usagers de leurs droits et recours

Il appartient d’abord et avant tout aux professionnels eux-mêmes d’informer clairement les usagers de leurs droits et recours ainsi que la liste des acteurs à contacter (ADIL, Associations etc…).

SÉCURISER LE CADRE D’INTERVENTION DES ARTISANS

Les 350.000 artisans et professionnels du bâtiment sont au cœur de la révolution en cours : sans plombiers, sans électriciens, sans maçons, pas de travaux d’adaptation possible. Encore faut-il sécuriser et professionnaliser le cadre de leurs interventions.

Proposition n° 8 – Création d’un Label RG2A permettant d’identifier les artisans spécialisés

Il existe déjà aujourd’hui des labels tels que Handibat, Domobat ou autres. Mais très peu d’artisans se sont engagés à ce jour dans de telles formations. A l’instar de la mobilisation que la filière Bâtiment a su organiser autour de la transition énergétique, nous appelons de nos vœux que la transition démographique donne lieu à la création d’un Label reconnu Garant de l’Adaptation et de l’Accessibilité des logements (RG2A) reconnu par l’Etat. Ce Label devra valider des acquis simples en termes d’ergothérapie, d’éthique, de normes handicap et de compréhension du fonctionnement avec les acteurs de l’écosystème.

Un tel Label permettrait d’orienter les usagers (personnes âgées, bailleurs sociaux…) vers des entreprises impliquées dans la transition démographique. Il permet par ailleurs de les rendre visibles des usagers mais aussi des acteurs publics aujourd’hui démunis par la pénurie d’artisans qualifiés.

Ce label devra concerner tous les professionnels impliqués dans l’adaptation des logements (Artisans, revendeurs, entreprise spécialisées, architectes). Ces professionnels seraient répertoriés sur une liste insérée et mise à jour sur le site de la CNSA www.pour-les-personnes-âgées.gouv.fr.

Proposition n°9 – Mise en place d’un processus vertueux : pas de travaux sans évaluation par un ergothérapeute, pas de travaux sans artisan labellisé.

Nous proposons que les financements venant en aide aux usagers (aide de l’Anah, des mutuelles, des conseils départementaux) soient conditionnés par un système vertueux : « Evaluation par un ergothérapeute ou professionnel agréé – Réalisation par des artisans ou entreprises labellisées ».
Pas d’aides publiques sans l’intervention d’un ergothérapeute qui aura défini les besoins de la personne. Pas de travaux sans intervention d’un artisan labellisé : voilà le processus qu’il nous paraît souhaitable de généraliser progressivement pour parvenir à terme à un processus vertueux et surtout incitatif pour les artisans eux-mêmes.

FINANCEMENT DE L’ADAPTATION

Proposition n° 10 – Refonte du texte du Crédit d’Impôt pour l’adaptation des logements

Le texte qui organise le crédit d’impôt pour l’adaptation des logements pour personnes âgées et/ ou Handicapés (Code général des impôts : articles 200 quater à 200 quater A ) devrait être revu pour l’orienter vers un rôle plus incitatif de prévention (suppression de la référence à la grille AGGIR pour que les GIR 5 et 6 ne soient pas exclus du processus, conditionnement à l’intervention d’un artisan RG2A et d’un ergothérapeute).

Proposition n° 11 – Triple conditionnalité de l’accès au financement

Faire en sorte que les aides publiques fassent l’objet d’une triple conditionnalité : être âgé de 65 ans et plus, établissement d’un rapport d’ergothérapeute, appel à un professionnel labellisé.

Proposition n°12 – Inciter à s’y prendre le plus tôt possible

Création d’une prime incitative à l’anticipation des travaux d’adaptation basiques (salle de bain, sols, portes de circulation) entre 65 et 75 ans pour favoriser l’adaptation préventive des logements (exemple de l’Allemagne). Nous proposons par exemple une prise en charge de tout ou partie des prestations d’ergothérapeute par la sécurité sociale ou par les mutuelles

Proposition n°13 – Soutenir les usagers et sécuriser les artisans : généraliser le tiers-payant

Il convient de généraliser la pratique du tiers payant ou des fonds d’avance avec l’Etat, les financeurs institutionnels et les collectivités territoriales. Cela se pratique déjà sur beaucoup de territoires : il fait généraliser ces pratiques afin que les personnes âgées ne supportent que le reste à charge sans attendre le versement des aides ou du crédit d’impôt et les délais d’attentes des décisions puis de versement des fonds n’obèrent pas gravement la trésorerie des artisans.

L’ADAPTATION PASSE AUSSI PAR LES SERVICES D’AIDES ET LES OUTILS TECHNOLOGIQUES

Proposition n°14 – Soutenir le développement de solutions technologiques à domicile

Qu’il s‘agisse des prestations permettant du bénéficier du crédit d’impôt, de la liste des produits et prestations remboursables (LPP) par la Sécurité Sociale ou la liste des solutions de la CNSA, il est essentiel, avec la rapidité des progrès technologiques, de réviser les listes des produits concernés. Nous prônons la création d’une commission annuelle de révision des solutions technologiques éligibles dans le cadre de l’adaptation de l’Habitat pour favoriser le lancement et l’intégration d’innovations utiles.

De même que la préconisation d’un Pack Technologique (cf. Proposition Rapport Aquino-Bourquin) doit valoir aussi bien pour les Ehpad que pour les Ssiad et Saad.

Proposition n°15 – Équiper tous les logements collectifs hébergeant des personnes âgées

Rendre progressivement obligatoire l’installation d’aides techniques et la fourniture de services technologiques à la personne dans tous les logements collectifs hébergeant des personnes âgées. Face à l’explosion actuelle et surtout future d’habitats intermédiaires dédiés aux seniors, cette règle doit s’imposer de suite.

Proposition n°16 – Mettre l’adaptation du logement au cœur de l’aide à domicile

Comme le font de nombreux services d’aide à domicile ou des entreprises comme La Poste, il faut systématiser partout où cela est possible les missions de repérage des situations de fragilité afin d’anticiper les adaptations nécessaires. Nous proposons également d’intégrer une courte formation au bâti adapté et aux aides techniques pour les personnels des SAP, afin qu’elles puissent contribuer au repérage pour les résidents dont ils ont la charge et pour elle-même (cf. Mission El-Khomri). De même qu’il convient de systématiser le bilan de sécurité et d’ergonomie, tant pour les personnes âgées que pour les aides à domicile, dans toutes les évaluations et adaptations du logement. Le logement doit servir aussi d’outil pour établir une norme de partage de l’information entre professionnels de l’intervention à domicile pour unifier les mains courantes quitte à se servir pour cela d’outils numériques.

Crédit photo FRANCE SILVER ECO

 

 


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