En Belgique, plus 11.000 places (le décret prévoit de dire « places » plutôt que « lits ») en maisons de repos d’ici 2030. Voilà l’engagement pris par le gouvernement wallon sortant.

Par Valentine Charlot et Caroline Guffens, Le Bien Vieillir
Philippe Defeyt, Institut pour un Développement Durable
Alain Legros, Balder (Silver Economy Consulting)
José Pincé, Administrateur de sociétés – maitre de conférence ULB – assistant chargé d’exercices ULB – Consultant

Cette décision nous inspire quatre remarques fondamentales :

  • Cet objectif a été fixé sans analyse rigoureuse des « besoins », sinon un vague scénario qui projette une tendance moyenne supposée perdurer et l’impression « évidente » d’une grande pénurie. Il semble promettre une réponse aux besoins. Il oblitère par là-même la nécessaire identification des besoins et des réponses diverses, certes pour partie à construire, pour y répondre.
  • Le gouvernement sortant ne tient pas assez compte des résultats et recommandations du Panel Citoyen que le Parlement wallon a organisé en mai 2017, ni des nombreuses études de terrain menées à différents niveaux.
  • Il n’y a pas l’argent nécessaire ; c’est un engagement et une promesse de plus dont la facture est envoyée aux gouvernements suivants
  • Enfin, et surtout, tout le décret s’articule sur une représentation figée de la MRPA/MRS, en gros, le modèle qui s’est mis en place dans les années 80 et 90.

Or ce modèle est largement dépassé :

  • Parce que les attentes des personnes avançant en âge ont évolué et évolueront encore.
  • Parce que les personnes accueillies y entrent de plus en plus tard dans un état de dépendance de plus en plus marqué.
  • Parce que la priorité est donnée à une logique de soins, laissant de moins en moins de place à des personnes âgées à la recherche d’une formule répondant d’abord à des préoccupations sociales.
  • Parce que les ruptures engendrées par ces déménagements à des moments de grande fragilité causent des dommages bien souvent insurmontables et aggravent la santé physique et psychologique des personnes concernées.
  • Parce que l’évolution des populations et des soins à domicile fait qu’il y a de moins en moins de différences entre une chambre en MRS et une chambre au domicile (y compris en résidence-services) ni entre le « profil » des personnes (de très nombreuses personnes à domicile ont des caractéristiques, en particulier en matière de santé, proches, voire équivalentes, de personnes qui résident en MRS).
  • Parce que le souhait principal des personnes âgées, c’est de vieillir chez elles ; pire, leur crainte principale est d’aller vivre en maison de repos !
  • Parce que les coûts des hébergements institutionnels explosent, dépassant les revenus de nombreuses personnes âgées, aujourd’hui déjà et plus encore demain.
  • Parce que la marchandisation accrue de l’hébergement en MRS détériore aujourd’hui régulièrement la qualité du soin et la qualité de vie des résidents, de leurs proches et des professionnels.

Il faut donc sortir d’une vision dépassée, bousculer les représentations héritées d’autres âges et créer un nouveau modèle d’accompagnement de la grande vieillesse.

Partons d’abord d’une évidence, certes, mais qu’il faut rappeler sans cesse : les besoins fondamentaux des seniors sont les mêmes que pour chacun(e) d’entre nous = affection, sécurité, participation, compréhension, repos, loisirs… Ce que souhaitent les seniors, c’est exister, être reconnus, être utiles, avoir une place dans la société. Être considérés avec leurs forces, leur expertise, et avec leurs difficultés et leurs besoins d’aide. Ils souhaitent encore et toujours vivre, profiter, décider, prendre des risques, se tromper peut-être ! Et ne pas être protégés, maternés, confinés, rassemblés, stigmatisés. Lorsqu’ils en ont besoin, ils demandent une aide ajustée qui les considère comme des adultes.

Si la professionnalisation, la technicisation et la médicalisation de l’accompagnement des personnes âgées ont apporté les avantages de soins à la pointe, elles ont aussi engendré l’effet délétère d’associer vieillesse à maladie, vieux à malade, et de placer les soignants en posture toute puissante et paternaliste. Les lieux de vie construits pour les personnes âgées reflètent souvent ces visions.

Pourtant, la loi, l’éthique et la déontologie sont porteurs de valeurs humanistes qui ont bien du mal à s’incarner. Chez nous, des philosophies de soin se créent, des principes s’érigent, quelques timides projets, initiés très localement, dépendants de femmes et d’hommes engagés, voient le jour. A l’étranger, des projets deviennent des modèles.

Pour montrer que d’autres voies sont possibles, voici celle suivie au Danemark : « Le Danemark a rénové complètement son concept de maison de retraite, transformant les établissements traditionnels en domiciles groupés pour personnes âgées en perte d’autonomie : il s’agit désormais de regrouper de petits appartements (salon et chambre), très équipés (sols intelligents, rails, lits, toilettes…) où les personnes peuvent maintenir une certaine autonomie et partager des services collectifs (restaurant, salle d’activités physiques) avec l’environnement ; il existe une équipe paramédicale sur place, mais les soins de santé peuvent être assurés par une intervention du centre de santé le plus proche auquel la personne est inscrite. »1

Cette démarche, comme d’autres (et aucune n’est à ériger en modèle absolu), revient en quelque sorte à fusionner le modèle de la résidence-services (espace, intimité, autonomie, sécurité) avec le modèle d’une maison de repos (soins et accompagnement). Et quand, dans les résidences-services, on voit des chambres médicalisées comme dans une MRS, on pourrait dire que finalement le logement en résidence-services, c’est une chambre MRS avec un salon. Mais cette pièce supplémentaire change tout : une personne peu mobile ne doit pas passer sa journée dans un fauteuil à côté de son lit ; quand elle reçoit des proches ou des connaissances, elle peut les recevoir dans son salon ; elle dispose d’une petite cuisine qui lui permet de cuisiner des plats dont elle a envie (ou de les faire cuisiner par un visiteur…).
Aller dans cette direction présente un autre avantage : au plus on se rapproche d’une véritable unité de logement, au plus on peut assurer une mixité d’âge, à l’encontre de ce qu’on observe aujourd’hui dans les MRS (concentration au-delà de 80 ans).

Mais il faut aller plus loin encore dans l’innovation sociale et architecturale.

Demain, ces unités de logement doivent être dispersées dans des ensembles de logements accueillant différents types de ménages et donc garantissant une mixité intergénérationnelle. Bien sûr, ceci implique que les soins (au sens large) aillent vers la personne qui en a besoin. Cela implique idéalement le partage d’équipements collectifs entre toutes les personnes et tous les ménages habitant le quartier (ex : la salle de quartier peut servir de cantine à midi pour les personnes âgées, mais aussi pour d’autres personnes qui souhaitent prendre un repas en compagnie). Et, bien sûr, il faut continuer à prévoir un lieu d’accueil pour personnes très dépendantes de manière structurelle ou passagère, doté d’équipements plus spécifiques et de quelques chambres très médicalisées, structure d’accueil proche du lieu où elles ont habité. Il faut de même prévoir des lieux d’accueil d’urgence pour éviter des décisions dans la précipitation, des lieux pour soutenir les aidants. Comme il faudra probablement prévoir des unités de vie spécifiques pour personnes ayant des difficultés cognitives importantes, basées sur la compréhension de leurs difficultés sans jamais les y résumer.

Ce que nous proposons ici est en fait une large et positive désinstitutionalisation de l’accueil des personnes âgées. « La désinstitutionalisation des soins est la responsabilité de l’ensemble de la société. Dans le contexte d’une société solidaire, la personne qui demande des soins, les soins informels, les initiatives orientées quartier ou voisinage, les associations et les soins professionnels ont tous un rôle important à jouer » et « un environnement solidaire vise à permettre aux personnes dépendantes de continuer à vivre de manière aussi autonome et confortable que possible dans leur logement ou dans leur environnement familier. Jeunes et vieux y cohabitent, les habitants s’entraident, les personnes dépendantes et leurs aidants proches y trouvent du soutien et il y a une garantie et une continuité de soins. Promouvoir des quartiers attentifs, où les personnes dépendantes et leurs aidants proches se sentent entourés et soutenus, contribue à un plus grand bien-être et à de meilleurs soins. » 2

Ces orientations sont à peaufiner bien sûr. Elles suscitent de nombreuses questions (comment organiser les soins, comment déplacer les personnes et leurs équipements, comment « suivre » les paramètres médicaux des personnes en difficultés de santé, comment articuler cette approche avec la réforme de l’assurance-autonomie, etc.?). Mais les innovations sociales et technologiques, comme la créativité architecturale et urbanistique, doivent permettre de donner vie à cette volonté de vraiment (re)placer les seniors au cœur de la vie, acteurs de leur vie, malgré leurs difficultés, et partenaires de leur accompagnement.

Enfin, dernier avantage des pistes que nous proposons, dissocier plus qu’aujourd’hui l’habitat (les briques) des soins modifie fondamentalement les équilibres financiers : la composante « briques » de la MRS est assurée par le coût du logement choisi par la personne âgée. La capacité d’acquérir ou de louer un studio senior dans un contexte d’habitat intergénérationnel est d’un ratio plus intéressant pour la personne que le coût d’hôtellerie qu’elle doit consentir dans une MRS ou dans une résidence-services. Par ailleurs, l’espace d’habitat personnel peut être trois fois supérieur à celui d’une « chambre » stigmatisant un lieu de fin de vie.

Nous plaidons donc pour mener quelques expériences-pilotes, sur base des orientations esquissées ci-dessus, dans de nouveaux quartiers (pour maximiser les innovations architecturales et urbanistiques) avant de s’engager dans un plan visant à déployer 11.000 places supplémentaires de conception « classique ».

Namur, le 14 juin 2019

[1] in « Politiques de soutien à l’autonomie des personnes âgées : quelques comparaisons internationales», Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge – Conseil de l’âge, France, Mars 2019, p.16 (voir : http://www.hcfea.fr/IMG/pdf/Conseil_de_l_age_note_comparaisons_internationales_soutien_a_l_autonomie_VF-2.pdf ; voir aussi : https://www.strategie.gouv.fr/publications/soutien-lautonomie-agees-lhorizon-2030)

[2] Extraits de documents stratégiques flamands cités par la Fondation Roi Baudouin in « Soutenir les personnes âgées fragilisées chez elles – Unir les forces locales », mai 2017, p.18 (voir : https://www.kbs-frb.be/fr/Activities/Publications/2017/20170305pp)

 


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